CE QUE APPRENDRE NE PEUT PAS ETRE
- De Sandra Dodd -
Traduit par Sylvie Martin Rodriguez et Jeanine Barbé

Pendant des années, j’ai recommandé aux nouveaux unschoolers de ne plus utiliser les expressions « enseigner ou apprendre quelque chose à quelqu’un » et de remplacer toutes leurs déclarations et pensées avec des phrases utilisant les mots « il a appris à » en lieu et place. J’ai reçu des critiques virulentes provenant de personnes soutenant que ce n’était pas important, que ce n’était que de la sémantique. Ce qui, pour moi, a commencé comme une théorie est devenu une croyance, puis une conviction. Les unschoolers qui s’accrochent à l’idée « d’enseigner ou d’apprendre quelque chose à quelqu’un » handicaperont leur propre compréhension de la manière dont fonctionne l’apprentissage.

APPRENDRE
Le mot existe
Le concept existe

En anglais, nous nous attendons à ce que les mots aient un sens. Nous attendons d’une chose qu’elle soit un objet. Et d’un verbe qu’il soit une action.

L’action d'apprendre n’est pas simple et claire.

Lorsqu’il existe des paires de mots tels que « cruche et tasse » ou « attaquant et défenseur » ou encore « la balle et le trou » nous postulons que les deux éléments sont complémentaires et font partie d’un tout.
Il existe ainsi (et cela dans plusieurs langues, je suppose) « enseignant et étudiant ». A présent que j’y réfléchis, c’est peut-être en partie un problème de langue anglaise. Parce que dans les langues latines (italienne, française, espagnole, etc.), ils utilisent le mot « maestro » ou ses dérivés. Maître ou maîtresse d’un art ou d’un savoir. Quelqu’un peut être un maître sans disciple ou étudiant. Cela veut dire qu’il excelle. Quelqu'un ne peut pas véritablement être un enseignant sans la présence d’un élève.

Mais de toute façon, nous avons, en anglais moderne, la paire « enseigner et apprendre ».

Si je veux apprendre à quelqu’un comment utiliser les guillemets, je peux parler, lui montrer, plaisanter, dessiner des bonhommes allumettes avec des phylactères, et je pourrais illustrer le concept en chanson. SI cette personne qui est dans la pièce et « reçoit l’enseignement » se met à penser à « comment tailler une pièce d’une arme à feu semi-automatique légale pour en faire une arme automatique illégale, et comment planquer la partie transformée ? », MOI, que suis-je en train de faire ?

Je parle, j’écris, je dessine, je danse et je chante. Mais je n’apprends rien à personne, je n’enseigne pas, je révise pour moi-même quelque chose que je sais déjà. Je joue un rôle, si on peut dire, sans aucune audience. Je joue avec moi-même. Je… hum vous savez...

Donc, si je suis en train de lire un magazine sur les armes à feu, et que quelqu’un vient et me dit : « comment dois-je ponctuer une citation à l’intérieur d’une citation ? ». Je peux lui montrer. S’il ne comprend pas totalement, je peux faire des dessins ou donner d’autres exemples. Quand je perçois qu’il a compris ce qu’il voulait apprendre, je me tais et je retourne à mon magazine, parce que l’action est terminée.

Il a appris. Je l'ai aidé à apprendre. J’étais « l’enseignant », mais je n’ai pas fait le travail qui a consisté à apprendre. L’ « apprenant » a fait ce travail dans sa propre tête. Je pouvais émettre des idées, mais lui seul pouvait entendre et poser plus de questions. Sans son travail actif, aucun enseignement ne pouvait prendre place.

Alors, s’il est vrai qu’ « apprendre quelque chose à quelqu'un » veut dire faciliter l’apprentissage de façon compétente et personnalisée, alors peut-on vraiment apprendre ou enseigner quoi que ce soit à quelqu’un ?

Il y a un texte bouddhiste qui parle d’être l’eau, d'être l’océan. Pensez-y comme s’il s’agissait de pétrir la pâte à pain.

Une chose est sûre : apprendre n’a pas d’action pour démontrer ce qu’est apprendre. On ne peut réellement faire entrer une information utile dans la tête de qui que ce soit contre son gré. Les gens peuvent apprendre comme des forcenés, mais on ne peut pas les faire apprendre.

Pétrissez. Les gens apprennent à travers d’autres personnes.

Il y a des gens payés pour enseigner. Certains sont conscients qu’il y a des limites à ce qu’ils peuvent faire. D’autres ne sont pas philosophes et croient que s’ils ont « enseigné » (présenté l’information), seuls les fainéants et les non coopératifs ne parviendront pas à apprendre.

Pétrissez énergiquement.

« Apprendre » est une idée que la plupart des gens comprennent à un niveau basique. C’est un concept que les meilleurs enseignants et les meilleurs homeschoolers (c.-à-d., nous les unschoolers) examinent avec le plus grand soin.

Par exemple, j’ai l’impression d’avoir appris à mes enfants à être gentils et patients. S’ils rejettent cet enseignement, j’aurai lamentablement échoué à leur apprendre tout cela, je les aurai juste formatés. Mais, d’une façon ou d’une autre, je les ai convaincus de croire que ce que je crois est important. De temps à autre, d’une manière ou d’une autre, je persuade les gens de croire que le unschooling marchera et que c’est important. Certains ne parviennent pas à l’apprendre, mais pour autant je continue à chanter et à danser.

Je n’aime pas tellement le jazz, mais la philosophie, les idées, et les apprentissages c’est un peu comme le jazz. Au début, quand on joue d’un instrument, on vous dit comment le tenir, comment souffler/pincer… comment utiliser les clés pour ne pas les abîmer, comment rester debout ou comment s’asseoir, pour vous faciliter les choses et pour conserver l’instrument. Ce sont les Règles… Si vous devenez suffisamment doué avec votre instrument, au point de pouvoir jouer dans le noir, rapidement, tout en discutant, les règles ne s’appliquent plus à vous.

A ce stade-là, vous n’êtes plus ce débutant qui peut accidentellement casser un instrument par ignorance ou par inadvertance. Vous aimez cet instrument et vous le connaissez vraiment bien, et peut-être êtes-vous même capable de le réparer.

Au début, l’instrument était le but sacré, mais à partir du moment où vos talents de musicien sont meilleurs que l’instrument en tant que tel, vous vous situez au-delà des simples règles.

Voici une de ces règles : vous devez être debout pour chanter. Sinon, votre diaphragme est comprimé et ne pourra soutenir vos notes et contrôler votre tonalité. Vous DEVEZ être debout. Les professionnels dans les spectacles de musique et dans les opéras…chantent assis, ils chantent allongés sur des lits, ils chantent en dansant, ils chantent dans toutes sortes de positions. Les chanteurs de folk et les musiciens traditionnels chantent assis dans diverses situations.

Je peux enseigner ou apprendre quelque chose à quelqu’un aussi bien qu’ils peuvent chanter. Alors pourquoi est-ce que je dis qu’enseigner ou apprendre quelque chose à quelqu’un n’existe pas ? Les débutants doivent savoir qu'apprendre n’est pas une chose que l’on « fait subir » à quelqu’un d’autre. Mais plutôt qu’apprendre est une chose à laquelle on peut, éventuellement, avoir la chance d’assister.

Dans les premières étapes, les enseignants en formation, les homeschoolers débutants, les assistants du professeur de karaté (comme mon fils Kirby) et les professeurs de jeux (Marty et Holly ont tous deux récemment « appris un jeu » c.-à-d. récité les règles du jeu devant un public) tendent à percevoir l’apprentissage comme un processus séparé de leur propre musique et de leur propre danse.

Dans les étapes plus avancées, ils enseignent, ils apprennent des choses à d’autres personnes, mais il s’agit plutôt de faciliter d’autres apprentissages de la façon la plus compétente et personnalisée possible.


Révisé par Catherine Forest le 7 mai 2013.

Lien vers l'article original What Teaching Can Never Be

Original French site (http://www.louves-online.com) is gone now.

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